samedi 9 février 2013

Génération Y, de la dérision à la subversion


Monique Dagnaud, sociologue et directrice de recherche au CNRS a publié, en août, Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (1).

Ils ont entre 15 ans et 30 ans et sont “nourris” au Web. Les jeunes de la génération Y (prononcer “why”) posent sur le monde un regard absolument neuf et engendrent leur propre révolution culturelle. Monique Dagnaud, sociologue, et Marianne Hurstel, vice-présidente de l’agence de communication BETC EURO RSCG, ont exploré ces nouveaux comportements.

Madame Figaro. – À en croire le nombre de colloques et de livres qui leur sont consacrés, les « Yers » fascinent ! Pourquoi une telle passion ?

Pour plus d'infos cliquez sur:

Monique Dagnaud (1). – Ils sont les fameux « natifs numériques », nés avec une souris dans une main, un Smartphone dans l’autre ! Malgré leur potentiel créatif incontestable, ils inquiètent leurs aînés. Comment ces électrons libres du numérique vont-ils s’intégrer dans le réel et mener carrière ? La sociologue que je suis n’a jamais autant été sollicitée par les entreprises...
Marianne Hurstel (2). – Tous les dirigeants se demandent comment les séduire et, surtout, comment les garder ! On connaît leurs qualités d’adaptation. On a autant à apprendre d’eux que l’inverse. Mais ils déroutent... Ils ont une façon très différente de penser, par intuitions...
M.D. – Ils sont multitâches, bricoleurs et zappeurs de génie, passés d’une réflexion linéaire à un couper- coller intuitif. Nous assistons avec les Yers à une vraie mutation anthropologique.
Une mutation sociale, aussi : on les dit papillonnants, ingérables, changeant d’entreprise tous les deux ans...
M. H. – Comment en serait-il autrement ? Ils ont vu leurs parents – ceux de la génération X ou des baby- boomers – affronter le chômage malgré des tonnes de diplômes... C’est une sacrée leçon de désillusion. Résultat : ils ne pensent pas « carrière », mais « bien- être » et développement personnel...

Rien à voir, en effet, avec la génération précédente !
M. H. – Ils ont souffert de cette génération carriériste, se sont sentis parfois sacrifiés. Ils veulent avant tout apprendre, explorer de nouveaux domaines. Dès qu’ils s’ennuient, ils quittent l’entreprise sans états d’âme.

Pourtant, ils seraient en grande demande d’encadrement auprès de leurs aînés ?
M. H. – Oui, à condition d’avoir des chefs compétents, ils attendent beaucoup de leurs aînés. Dans l’enquête que nous avons menée, ils détestent l’autorité « friendly », mais plébiscitent des aînés droits dans leurs bottes, capables de leur donner des conseils.
M. D. – C’est le déboulonnage des faux patrons et des figures d’autorité incompétentes, d’où leur regard critique et ironique sur le monde politique. Leur émission culte ? C’est « le Petit Journal » de Yann Barthès, sur Canal +, qu’ils reprennent à l’envi sur le Net. C’est aussi le règne de l’opposition douce, la fameuse culture « lol ». On tourne en dérision, mais on ne fait pas la révolution. Leurs seules grenades sont celles de l’humour...
(1) Auteur de Génération Y : les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (éd. Les Presses de Sciences Po).
(2) Elle a supervisé l’étude internationale sur les Yers : The Millenial Generation, Meet the Smooth and Soft Generation, février 2011.



"Ils ont une grande culture du partage et rêvent de courtoisie"
Ont-ils le goût du pouvoir ?
M. D. – Leur idéal de vie ? Monter son entreprise, papillonner entre plusieurs métiers, bref, devenir des super experts. Le modèle de la grande entreprise où l’on devient chef ne les fait plus rêver... On ne se bat plus pour diriger et avoir des responsabilités !
M. H. – Pour nous, chefs d’entreprise, c’est problématique ! Dans les générations précédentes, on développait une expertise, puis on grimpait les échelons. Cette génération veut évoluer « à l’horizontale », en passant d’un domaine de compétence à un autre, sans grimper à la verticale. Les budgets formation explosent !

N’est-ce pas l’occasion pour les femmes Yers de prendre le pouvoir ? On les dit surdiplômées, surmotivées...
M. H. – Je ne suis pas tout à fait de cet avis. Les Yers idéalisent totalement la famille, au point d’en faire un vrai fantasme. Est-ce parce que leurs parents, souvent, ont divorcé ? La tentation du retour au foyer, qu’Élisabeth Badinter a décrite chez les trentenaires (3), se poursuit chez les Yers. En revanche, les jeunes hommes refusent d’être les seuls chefs de famille, d’assumer cette pression. Paradoxalement, ce sont eux qui poussent leurs compagnes vers les postes de pouvoir... Et ça, c’est très intéressant.
Où est l’insolence dont on a tant parlé ? La transgression ?
M. D. – Si mon ouvrage est sous-titré « De la dérision à la subversion », c’est précisément pour souligner qu’ils ne se construisent pas dans l’opposition frontale avec leurs aînés. Cette absence de conflit de générations est assez sidérante. Nous leur laissons des dettes, un chômage écrasant... Et non seulement ils ne se rebellent pas contre leurs aînés, mais ils plébiscitent le modèle de la « famille association », celle qui va vous aider en cas de coup dur !
M. H. – Culturellement, ils sont très proches de leurs parents. Regardez leurs playlists : ils écoutent les Beatles, les Stones, Lou Reed et, pour certains, Aznavour et Georges Brassens ! Plus de 65 % des 18-25 ans que nous avons interviewés affirment partager les mêmes valeurs que celles de leurs parents.

Chantres du « do it yourself », comme vous l’écrivez, Monique Dagnaud, sont-ils farouchement individualistes ?
M. D. – Ne pensez pas cela. S’ils ne s’engagent pas dans un parti, ils vont, par exemple, agir dans l’humanitaire – toujours ce goût du concret – ou auprès des handicapés ! S’ils ont adoré le film les Intouchables, qui lie un « Y » black et un baby-boomer, ça n’est pas un hasard... Ils ont une grande culture du partage et rêvent de courtoisie. Contre l’hostilité du monde et la culture paternelle défaillante, ils plébiscitent une régulation sociale par la solidarité, le partage. Ce sont les enfants du « peer to peer », de la culture de l’échange.
M. H. – Ceux que nous avons interviewés nous ont révélé que leurs parents, à leur âge, étaient beaucoup plus « jeunes » qu’eux. Autrement dit, plus rebelles ! Ils sont très admiratifs de tous les combats menés par les baby-boomers.
M. D. – C’est la raison pour laquelle ils ont du mal à sortir de cette postadolescence. Et à grandir !

(3) Le Conflit : la femme et la mère (éd. Flammarion). Et vient de paraître en librairie la Génération Y par elle-même, de Myriam Levain et Julia Tissier (éd. François Bourin).

Monique Dagnaud, sociologue : « Les jeunes espèrent influencer les politiques, mais pas prendre leur place »
Monique Dagnaud, sociologue et directrice de recherche au CNRS a publié, en août, Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (1).

Quels sont les points communs entre les différents mouvements d’« indignés » en Europe et aux États-Unis ?
Monique Dagnaud : Partout, c’est une jeunesse diplômée du supérieur dans sa majeure partie qui se dresse parce qu’elle considère que la société ne lui permet pas de s’insérer. Elle a fait des études et pourtant, le marché du travail ne lui offre pas d’emploi correspondant à ses qualifications. Cette jeunesse proteste contre le fait de n’avoir pas de perspective, sinon celle du déclassement. En France néanmoins, avoir un diplôme supérieur vous permet encore de vous insérer. Certes, en passant par les cases stage, incertitudes, contrat à durée déterminée. Mais le diplôme supérieur reste valorisé. En Allemagne non plus, le problème n’est pas encore celui du « no future » pour les diplômés.

Cette jeunesse nourrit-elle le sentiment de n’être pas rétribuée comme elle devrait l’être ?
Dans toutes les sociétés développées, il faut faire des études pour avoir une chance de s’insérer dans la société. Les jeunes et leurs parents se mobilisent pour cela. Mais si au bout du compte, l’investissement se révèle sans dividende, la frustration est énorme. D’une certaine manière, si vous n’avez pas de diplôme, vous acceptez plus facilement de passer d’un emploi précaire à l’autre. Ces mouvements de protestation s’opposent aussi farouchement aux élites et au partage des richesses démesurément inégal des quinze dernières années. C’est particulièrement visible à New York.

Cela signifie-t-il que les « indignés » n’expriment que des frustrations individuelles ?
Ils représentent aussi leurs familles. Celles-ci se sont sacrifiées pour aider les jeunes à avoir des diplômes et sont donc solidaires. C’est un fait important en Italie ou en Espagne, où, s’ajoutant à des facteurs culturels, le chômage contraint les enfants à rester de plus en plus longtemps chez leurs parents. Si vous avez comme perspective de rester toute la vie le fils ou la fille de vos parents, c’est toute la famille qui en souffre. à ces jeunes diplômés peuvent s’ajouter d’autres profils, comme des chômeurs ou des précaires, mais ils constituent la pointe avancée du mouvement.

La forme de la protestation vous semble-t-elle nouvelle ?
Oui, car d’abord elle tient à des moyens de communication, portables, réseaux sociaux, qui permettent de rassembler un grand nombre de personnes de manière rapide, quasi spontanée. Ensuite, les protestataires se donnent rendez-vous dans des lieux symboliques, Wall Street ou la Puerta del Sol, et les occupent, durablement. Cette démonstration visuelle est très différente d’un défilé qui, lui, disparaît. Enfin, il n’y a pas de leader, pas de porte-parole, ce qui s’explique selon moi par la culture Internet, très égalitariste et partageuse. Sur la place de la Puerta del Sol, les décisions se prenaient à l’unanimité. Cette absence de porte-parole est aussi le signe d’un rejet de la scène politique traditionnelle. Lors des précédents mouvements étudiants ou en Mai 68, il y avait des idéologies, un lien avec des partis ou des syndicats, une attente des institutions. Aujourd’hui, je constate que les jeunes espèrent influencer les politiques, mais ne souhaitent pas prendre leur place.

Comment les responsables politiques peuvent-ils réagir ?
Peu de signes montrent que les jeunes vont s’insérer rapidement, les politiques ont donc de quoi être inquiets. Sans compter qu’aujourd’hui, le problème principal est de savoir si l’on fait une Europe fédérale, si l’on sauve la Grèce, si l’on renfloue les banques… Les problèmes de la jeunesse, absolument essentiels, ne font pas partie de l’actualité brûlante. N’étant pas habitués à ces formes d’expression, qui pourtant leur paraissent puissantes, les politiques sont démunis.

Génération Y : les jeunes et les réseaux sociaux, par Monique Dagnaud
A la veille de la sortie de son tout dernier ouvrage « Génération Y, Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérive à la subversion », Monique Dagnaud était mercredi 28 septembre au Centre d’Analyse Stratégique, dans le 7ème arrondissement de Paris, pour en parler.
Monique Dagnaud travaille au CNRS et se définit comme « sociologue des médias mais passionnée par les questions de génération »
Le terme génération Y, apparu en 1993 dans un magazine américain, désigne ces personnes qui ont grandi à une époque où se généralisaient les outils internet, c’est-à-dire des jeunes qui ont actuellement entre 18 et 30 ans. Pour elle, on observe chez eux un « penchant à se mettre en scène, s’auto promouvoir pour recueillir les commentaires des autres ». C’est une génération qui a connu la crise, la mondialisation, les mirages de la société d’abondance, le dégrisement par rapport aux idéaux des années soixante dix, et qui a également été marquée par une nouvelle éducation laissant plus de place à la communication. C’est enfin, selon Monique Dagnaud, « une génération qui a commencé son apprentissage de la vie avec les outils informatiques » et « qui vit le monde du bout des doigts et en temps réel ».

La sociologue distingue alors trois éléments de la vie de ces jeunes :

1. La dimension culturelle : l’émergence d’une identité numérique expressive
En communiquant sur le web, notamment via les blogs, les jeunes utilisent une façon de se présenter au monde très différente de celle des journaux intimes, par exemple, qui se caractérisent par une forte réflexivité. «On n’est pas sorti de la réflexivité, mais le jeune ne perd jamais de vue que sa subjectivité va être rendue publique », déclare Monique Dagnaud. « Le web 2.0, pour les adolescents, c’est une sorte de tribu, un témoignage sur soi-même qu’on lance à la cantonade», le but étant d’« éprouver le pouvoir magnétique qu’on peut avoir par rapport aux autres ». Mais ces autres, ce ne sont plus seulement les amis, mais aussi les amis d’amis.
On voit alors fleurir sur le web toute une série de conversations que la sociologue qualifie de « banales », avec dans le même temps la naissance chez ces internautes du désir de devenir artiste. Le web 2.0 favorise considérablement la créativité, sous toutes ses formes. Pour Monique Dagnaud, « ce n’est pas vraiment la recherche de la célébrité mais il y a cette aspiration à exprimer sa sensibilité et à exister à travers de productions artistiques »

2. La dimension politique : la culture du lol et du loose
Sur le web il existe également une attitude générale qui oscille entre dérision et subversion. En effet, le net est « contrôlé » par ceux qui sont les garants de sa culture, les hackers. Et c’est là que la dimension politique intervient : ces derniers se présentent en effet un peu, selon la sociologue, comme un contre pouvoir de la société. S’ils utilisent parfois un ton humoristique, potache, en faisant circuler des images, vidéos comiques, ils sont aussi capables de subversion, prêts à harceler moralement leurs cibles (des individus isolés ou des gouvernements, des associations politiques) et à mener des actions protestataires. Pour Monique Dagnaud, cette double « personnalité » se résume à l’aide de deux termes : lol pour le côté dérision, loose pour le côté subversion. « Ce qui alimente ces deux options c’est la virtuosité technique utilisée pour détourner les images ou vidéos » explique la chercheuse. Les hackers adorent en effet modifier des éléments du web pour les rendre comiques et les faire ensuite circuler, le tout dans ce que Monique Dagnaud appelle « une espèce de bonne humeur du Web ». Elle ajoute : « Il y a cette vitalité mais qui s’appuie sur de l’outrance, de la bêtise… »
Pour elle, le web offre aux jeunes une capacité à s’organiser. Grâce à lui, ils ont développé une nouvelle forme d’organisation politique, qui n’embraye cependant pas du tout sur la scène traditionnelle.

3. La dimension économique : l’attachement à une culture du gratuit
Enfin, la culture du web s’accompagne d’une « résistance très forte à cette idée d’achat ». Il y a un attachement très fort au low cost, au bas prix, avec derrière l’utopie des biens culturels gratuits pour tous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire