mardi 3 avril 2012

Les enjeux de la gestion des âges en entreprise.


J’ai eu le grand plaisir de co-animer une session sur la problématique de l’intergénérationnel à l’ENA avec Philippe Pierre, sociologue, expert en management interculturel, consultant en gestion des ressources humaines et enseignant dans plusieurs institutions internationales (Sciences-po, ESSEC) et codirecteur du Master Management Interculturel de l'Université Paris-Dauphine


Trois générations se croisent au sein des organisations publiques : celle dite du « baby boom » qui a commencé à partir à la retraite, celle qui lui succède, dite génération X, et enfin la génération Y née à l’aire du numérique, de l’instantanéité de l’information et des réseaux sociaux. Ces trois générations n’ont pas toujours le même rapport au travail, qu’il s’agisse du sens, des conditions de travail,du rythme,de l’organisation,du management et des nouveaux outils, ou de l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. A ce défi d’intégration, s’ajoute la question de la transmission entre les agents partants, dépositaires d’une mémoire et d’un savoir-faire, et ceux issus des nouvelles générations. C’est à ce double défi que tente de répondre un management transgénérationnel.
La formation dresse un panorama sociologique et démographique des différentes générations. Elle permet de décoder le rapport au travail et les besoins de ces générations pour réussir à trouver des moyens pour intégrer dans un même collectif de travail les personnes qui ont à collaborer ensemble.

Les enjeux de la gestion des âges en entreprise.

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Prendre le temps de faire dialoguer toutes les intelligences !

Question : On assiste actuellement à un engouement pour la question de la gestion des âges. Or, ne dit-on pas que le talent n’a pas d’âge ! Il peut se détruire comme Arthur Rimbaud à 21 ans ou comme Musset, Chénier, Radiguet avant 30 ans ! François René de Chateaubriand écrivit ses Mémoires d’outre-tombe entre 76 et 79 ans ! Oum Kalsoum, « l’Astre d’Orient », enchanta tous les publics jusqu’à sa mort. Gustave Eiffel a achevé les travaux de sa fameuse Tour à 57 ans !
La thématique de la gestion des âges, en entreprise, fait écho au succès des politiques de gestion de diversité. Vous venez de publier, avec Evalde Mutabazi, un livre documenté sur ce thème et qui s’intitule Pour un management interculturel. De la diversité à la reconnaissance en entreprise aux Editions L’Harmattan (2008).

Que répondez-vous à ceux qui pensent que la question des âges ne se pose pas en entreprise ?

Philippe Pierre : L’homme arrive novice à chaque âge de sa vie enseignait Chamfort et chacun sent bien en entreprise qu’il est plus fort quand il peut partager avec un plus jeune ou un plus expérimenté ou les deux à la fois ! Dans toute entreprise, la question de la coopération entre générations est capitale mais on ne le fait pas sereinement dans des cultures qui ne permettent pas aux jeunes de donner à leurs aînés le bénéfice de leur inexpérience. Le risque est donc grand de faire travailler des personnes de différents âges qui s’ignorent, se révoltent contre l’âge des autres et, au final, contre elles-mêmes !
Des personnes ignorantes de leur propre ignorance par défaut de contact ! Le plus grand défaut de la vieillesse, dit-on, c’est de seulement voir les défauts de la jeunesse mais nombreux sont en entreprise les seniors (les personnes de plus de cinquante ans) qui ont parfaitement compris cet enjeu d’une dynamique de reconnaissance mutuelle entre générations. Tout le monde est pourtant porteur d’un savoir mais la détention si mal répartie des capitaux sociaux, culturels et symboliques, condamne certains à rester en bas de l’échelle sociale. Comment, pour un syndicaliste ou pour un dirigeant, anticiper les effets liés aux différences de générations, aux classes d’âges en n’oubliant pas les effets socio-économiques des inégalités ? J’y vois, pour ma part, un enjeu « interculturel » qui ne résume pas à l’assimilation autoritaire d’un modèle dominant par une autre génération mais la possibilité d’apprentissages croisés .
On en pressent bien l’urgence en entreprise avec la question de la formation aux technologies nouvelles des plus âgés, avec celle du tutorat, de l’échange ou pas de bonnes pratiques au quotidien, de tours de mains, de savoirs informels qui ont été accumulés et qui risquent de ne plus être diffusés, faute de mémoire et de transmission dans des communautés professionnelles vivantes…

Question : Les contextes marocains et français, du point de la gestion des âges en entreprise, sont différents. Toute société qui prétend assurer aux jeunes un destin libre doit commencer par leur garantir une existence digne. Quand l’âge est un critère légal pour dispenser d’emploi, qu’en est-il de la France et du rapport entre jeunes et moins jeunes au travail ?

Philippe Pierre : Le contexte français du marché du travail est marqué par un important chômage des jeunes, par le vieillissement et la réduction du nombre d’actifs également puisque le taux d’activité des travailleurs âgés de plus de 50 ans est parmi les plus faibles d’Europe (37 % contre 60 % dans les pays scandinaves). Les départs à la retraite pourront de moins en moins être compensés par l'embauche de jeunes. Le profil de la main-d'œuvre change aussi en termes d'attentes à l'égard du marché du travail et ce, chez toutes les catégories d'âges. Ce marché français du travail est le lieu de la progression des femmes dans des positions de pouvoir et de légitimes attentes d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, le théâtre de l’augmentation des familles monoparentales aussi, de risques permanents de délocalisation et d’augmentation des formes de précarité dans les contrats de travail… Dans ces deux pays, au Maroc comme en France, j’entrevois la question clé du passage d’équipes supposées homogènes (et cooptées) à des équipes davantage mixtes (hommes-femmes), intergénérationnelles, « multi-communautaires » (du point de vue de la religion, de l’ancrage régional, de l’appartenance ethnique supposée…) et aussi davantage internationales dans les entreprises les plus riches. Il y donc nécessité d’améliorer les capacités à travailler en équipe en intégrant les différences et en aménageant les effets d’une trop grande diversité, notamment du point des âges des employés. Les intervenants du monde du travail doivent donc relever le double défi de la cohabitation intergénérationnelle et de l'arrimage des conditions de travail aux besoins de la main- d'œuvre, jeune comme vieillissante.

Question : Précisément, certains experts distinguent 5 générations démographiques au travail et parlent de Génération « Y » (âgés de 13 à 31 ans), de Génération « X » (âgés 32 à 43 ans), de « Baby Boomers » (âgés 44 à 62 ans), de Génération « silencieuse » (âgés 63 à 83 ans) et de “grande” Génération (âgés de 84 ans et au-delà). Vous dites de la Génération « Y », celle des plus jeunes qui rentrent sur le marché du travail, qu’elle est encore mal connue…

Philippe Pierre : Oui et précisons les choses sans céder à la magie de l’explication de tout par l’âge ! La génération dite « X » est composée de personnes nées dans les années 60- 70 et représente 20 % de la population européenne et 40 % des actifs. Ses membres ont souffert à la fois de l’aura de leurs ainés qui trouvaient plus facilement un emploi, qui ont fait mai 68 (les fameux « Baby-boomers » nés après la seconde guerre mondiale) et aussi de la disparition de repères avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Perçue comme inclassable, des intellectuels anglo-saxons comme William Strauss et Neil Howe ou Douglas Coupland ont permis de mieux décrire l’angoisse existentielle de cette génération en quête de nouvelles valeurs spirituelles qui a vécu la fin de tout en quelque sorte… La fin de la croissance économique, du mariage, du couple qui dure… et la remise en question, en entreprise, d’un management du haut vers le bas, du siège vers les filiales... Ces considérations ont-elles un sens au Maroc, je ne le sais pas ?

La génération dite « Y », celle des plus jeunes des pays les plus riches, vit dans un monde multipolaire, décentré et technologique. C’est elle qui utilise le plus l’internet, les téléphones portables, les réseaux sociaux tels que Facebook, Myspace… Ils aiment jouer (citons les jeux sur ordinateur « Everquest », « Dark Age of Camelot »…) dans une vitesse de réponse fulgurante et n’hésitent pas à parler de leur intimité à quelqu’un qui est connu depuis peu et à des milliers de kilomètres ! On dit d’eux qu’ils ont une autre conception du temps de travail avec de « gros coups de colliers et des journées off ». On dit aussi d’eux que l’autorité au travail découle davantage de la compétence que de l’âge. Ils accepteraient souvent d’être managés par des plus jeunes… Une position de pouvoir ne confère plus automatiquement une position d’autorité. Mais, soulignons-le, les jeunes acceptent souvent une critique si elle formulée de manière constructive et… construite. Curieux, ils veulent comprendre mais si l'on sait exactement ce qu'on va faire… à quoi bon le faire, rappelait habilement Pablo Picasso ?

Question : Chez ces plus jeunes, on décèlerait davantage de comportements « opportunistes », une logique du « donnant-donnant » et le sentiment d’appartenir à la même planète et de veiller à son respect écologique… C’est une génération qui apprendrait, pour les plus riches, à travers les jeux vidéo, la télévision, les portables et internet… Sa « matrice » serait donc davantage technologique avec une importance accrue des émotions par le virtuel, devenu plus réel que le réel…

Philippe Pierre : Pour les jeunes diplômés, c’est certainement une génération moins inhibée à prendre la parole, à questionner les offres et les modèles proposés, pour qui les technologies, en effet, relèvent, en certains cas, de l’inné plus que de l’acquis… et qui est prête à vivre des parcours de vie plus chaotiques pour peu qu’au travers de leurs loisirs, de leur travail, de leurs expériences culturelles et affectives, ils puissent découvrir progressivement un mode de réalisation de soi qui leur convient….
Remarquons, par exemple, que plus les femmes sont scolarisées, moins elles vivent en couple en France et en Europe. On dit des jeunes qu’ils sont impatients et demandent à recevoir « tout » et
« tout de suite », qu’ils ne sont pas habitués à souffrir pour obtenir quelque chose, qu’ils veulent des louanges et des louanges et encore des louanges…. Ceci ne m’apparaît pas exact. Je les perçois, au contraire, habitués à attendre leur tour, anxieux souvent du feed-back que l’on fait sur leur contribution réelle, s’entourant du maximum d’informations avant d’entreprendre. Pour ceux qui le peuvent, ils travaillent pour vivre mais ne vivent pas pour travailler. N’est ce pas d’ailleurs une bonne chose ?

Les jeunes cadres de cette génération veulent par exemple, pouvoir déporter leur poste de travail à la maison et les grandes entreprises doivent s’attendre à devoir accepter de permettre de consacrer du temps à une cause qui leur tient à cœur, comme un voyage humanitaire, quatre ou six mois d’affilée…. Ces jeunes adultes, en Europe, prolongent aussi leur adolescence et ne souhaitent pas quitter le foyer le plus vite possible comme le souhaitaient leurs ainés. Tandis que les rémunérations génèrent pour eux moins de pouvoir d’achat et que la sécurité de l’emploi est moins forte, que l’accès au premier logement et la stabilité arrivent autour de 27-28 ans, ces jeunes ont pu observer à la fois les difficultés d’insertion éprouvées par leurs aînés et ont donc misé davantage sur les études. Beaucoup de parents de ces jeunes ayant passé le cap de la vingtaine à la fin des années 90 ont pu encore soutenir leurs enfants durant leurs études. Ron Alsop parle d’ailleurs de parents « hélicoptères » qui couvent leurs enfants et sont prêts à les aider, allant jusqu’à négocier le salaire avec l’employeur s’ils le pouvaient ! Dans une relation protectrice, ils appellent leurs enfants plusieurs fois par jour au téléphone !

Question : qu’en est-il de l’entreprise pour cette génération « Y », et particulièrement pour les cadres ? La « carrière à vie » dans l’entreprise, cela sonne comme une menace pour les plus ambitieux des jeunes générations. Qu’en pensez-vous ?

Philippe Pierre : On assiste certainement à l’émergence de nouveaux modèles de gestion des carrières et la fin de l’emploi à vie. Le « discours » sur les générations peut d’ailleurs amplifier le phénomène et légitimer les politiques de libéralisation à l’œuvre. Mais force est de constater que pour beaucoup de jeunes cadres, la carrière dite « nomade » est conçue comme devant faire « sens » dans des étapes professionnelles volontairement discontinues. L’actif accepte de faire carrière chez un grand nombre d'employeurs et cherche à valider les étapes clés de ce qu’il a appris (« savoir-faire ») auprès de tiers (« savoir qui »). C’est un modèle émergent de gestion de carrière où l’on façonne son projet de vie avec un nombre plus important d’interlocuteurs : un coach, un ancien professeur d’études, des amis, les alumni, les réseaux sociaux sur Internet (« savoir pour quoi faire demain »)… Au contrat implicite d’échange de loyauté en contrepartie de la sécurité dans une seule entreprise ou un seul groupe, se substitue un contrat de mise à disposition de compétences contre un accroissement continu de l’employabilité et de la bonne « réputation ».

Pour la génération « Y », l’entreprise peut-être aussi le lieu de graves dérives. Rappelons-nous la saga Enron et les faillites récentes autour de Bernard Madoff… Ces jeunes vivent dans une société de la peur : du sexe, de la vitesse, de l’alcool, du réchauffement climatique où le mot « .confiance » s’écrit sur un mode mineur. L’entreprise, pour ces plus jeunes, est donc un « accélérateur » de formation, un lieu d’investissement perçu comme temporaire, un « support » d’employabilité. Cette génération de jeunes cadres « vote avec ses pieds » si les choses vont mal, c'est-à-dire qu’elle quitte l’employeur sans forcément en préciser les raisons. A l’employeur de faire le travail de collecte des données après et de s’interroger sur le pourquoi du départ et d’une démission subie d’un bon élément pourtant ! L’entreprise est un lieu où doit primer une bonne ambiance de travail avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques. Les chefs doivent être charismatiques mais pas autoritaires, fuyants et retors. Quand leurs aïeux se sont attachés à déconstruire la tonalité en musique, la figuration en peinture, l’important pour eux est d’effleurer et de déflorer les possibles au travail en expérimentant ! Faire défiler, télescoper, jongler avec des plans différents et « manger le dessert en premier » car on ne sait jamais… Pourquoi faire du présent le mineur du futur ? Avec la génération des « digital natives », ceux qui nés avec une télécommande dans la main, ce qui compte n’est pas l’outil technologique à disposition mais la culture même de l’entreprise ! Est-ce bien neuf ? L’ambition du jeune cadre de la génération « Y » est de devenir son propre patron tout en étant protégé par l’entreprise qui l’emploie, de goûter à un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, autant de choses qui peuvent déplaire à terme… On a retrouvé, paraît-il, une poterie d’argile dans les ruines de Babylone, vieille de plus de 3000 ans, où était inscrit : «cette jeunesse est pourrie depuis le fond du coeur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois. Ceux d’aujourd’hui seront incapables de maintenir notre culture».

Question : Et que faire pour les seniors ? On les dit moins absents, tout aussi productifs et adaptables, plus sérieux, plus souples, plus stables émotionnellement…

Philippe Pierre : Traditionnellement, les actions en direction des plus âgés s'articulent autour de quatre objectifs : le maintien dans l'emploi (avec l’assouplissement des temps de travail par exemple), le retour à l'emploi, l'aménagement des fins de carrière et l'évolution des mentalités. Comment faire évoluer, en effet, les représentations socioculturelles alors que le droit social s’est construit à partir du critère de l’âge (fragilité, vulnérabilité…) ? Comment lutter contre des préjugés ancrés tels que la lenteur, la faible résistance dans le port des charges lourdes, le soutien de l’attention sur la durée ? Comment entretenir la motivation des seniors en proposant une 3ème partie de carrière ? L’avenir passe certainement par l’accompagnement tout au long de la vie professionnelle (« non pas gérer l’âge mais gérer tous les âges » dit avec raison Christine Charlotin), par la construction de binômes « jeunes-moins jeunes », par le mécénat de compétences et le maintien d’une activité à temps partiel avant et après le départ en retraite… et une approche multidimensionnelle des discriminations qui ne fasse pas de l’âge le critère explicatif unique des comportements. L’avenir de nombres d’entreprises passe aussi par la diversification de ses viviers de recrutement, par l’analyse objective des compétences à pourvoir (gare au risque de recruter toujours les mêmes personnes et de la même manière…), par des mobilités (géographiques, transversales, verticales, inter-métiers) tout au long de la carrière à partir d’un point bilan carrière véritable.

Trop souvent, on oublie d’intégrer les seniors dans les cycles de formation (en adoptant le cas échéant la pédagogie), d’adapter les politiques de rémunération (contribution au plan épargne retraite par exemple) et de favoriser la prévention des risques de santé avec des enquêtes de trajectoires professionnelles et des outils de détection précoce de l’usure professionnelle. Inventorier sur CD-rom et sur le site intranet de son entreprise des types de risques et de nuisances auxquels sont exposées les personnes en fonction de leurs situations de travail peut-être, par exemple, une excellente mesure qui conduit les salariés à avoir leur mot à dire sur l’organisation du travail. Quand les salariés ont un travail intéressant qui leur offre l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences, partagent les fruits de leur travail, ont l’opportunité de débattre et de discuter avec le management, alors chaque salarié se sent traité avec dignité.

Question : Entre jeunes et moins jeunes, comment transmettre ?

Philippe Pierre : Je suis frappé combien la vie au travail, et la vie tout court, est une perpétuelle conversation, et personne ne vous enseigne vraiment à le faire. Commençons donc d’abord par réapprendre à dialoguer. Commençons aussi par nous méfier du « tout technologique » pour mieux se comprendre en entreprise. Mettre des wikis, des blogs, des messageries électronique, du logiciel social, décloisonnez l’accès à l’information et aux individus sans changer le reste ne sert à rien. Les jeunes ne viendront pas ou, pire, partiront très vite ! Ils ont, par contre, besoin comme toute le monde de challenges, de formations… La culture de la génération « Y » est une culture de l’interaction et en intégrant l’entreprise, ces jeunes vont demander à pouvoir répliquer le modèle qui est le leur au quotidien quand ils étudient (plurilinguisme, études de cas…). Ils vont demander des rapports humains et des outils interactifs de travail ! Cela revient à faire passer l’idée aux jeunes qu’il existe une continuité et un engagement dans le temps et valoriser la vie professionnelle comme une source de plaisir et de reconnaissance mutuelle. Les 18-25 ans se demanderont toujours s’ils sont capables de s’assumer de manière autonome. Puis-je apporter une expertise quelconque et répondre aux anciens ? Où est ma place dans une entreprise qui privilégie les procédures sur l’affectif et suis-je seul dans ce système ? Comme l’écrit Jean-Luc Excousseau, pour le dirigeant en entreprise, l’important est d’avoir du fond (pourquoi perdre son temps avec quelqu’un qui n’a rien à dire ?), de la forme (dans une société de spectacle et de l’immédiat télévisuel) et du tréfonds (parler, agir avec ses tripes, avoir envie de transmettre…). Le jeune cadre de la génération « Y » est un élastique, très efficace quand on le tend ! Confiez-lui des tâches à mener à bien dans des délais courts. Il oblige aussi, pour ceux qui l’auraient oublier, à revenir à un management de proximité. Il ne se gère pas « de loin ». Il faut le recadrer au jour le jour et inventer avec lui un management plus « ludique » et « interactif ». Il faut les mettre en situation car ce sont des acteurs nés ! Les laisser faire eux-mêmes une erreur sera bien plus efficace pour apprendre que de leur faire des « powerpoint ».

Au final, réfléchir selon des sensibilités propres aux générations, elles–mêmes objectivement liées à des cycles macro-économiques et démographiques, est utile mais réducteur. Réfléchir uniquement en termes de générations reviendrait à courir le risque de moyenner les comportements et d’oublier les différences individuelles qui, selon moi, se creusent entre certains diplômés d’institutions réputées et les autres, par exemple.

Prenons garder à lutter contre les préjugés sur l’âge en en faisant la variable mono- causale sur laquelle devrait reposer toute gestion des ressources humaines performante. L’important est moins de savoir comment les autres fonctionnent que d’imaginer avec eux d’autres manières de fonctionner qui conviennent à tous ! La vie n'est supportable qu'à condition de ne pas se résigner à être ce que les autres voudraient que nous soyons !

Evalde MUTABAZI et Philippe PIERRE, Pour un management interculturel. De la diversité à la reconnaissance en entreprise, L’Harmattan, 2008.

Jean-Luc EXCOUSSEAU, La mosaïque des générations. Comprendre les sensibilités et les habitudes des Français, Editions d’organisation, 2000.

William STRAUSS et Neil HOWE, The Fourth Turning: An American Prophecy, Bantam, 1998.

Douglas COUPLAND, Generation X : tales for an accelerated culture, New York, St. Martin's Press, 1991 (traduction française : Génération X., Paris, Robert Laffont, 1993).

Ron ALSOP, The Trophy Kids Grow Up, Jossey-Bass, 2008.

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