samedi 29 janvier 2011

« Les élèves français manquent de confiance en eux »


Auteur d’un ouvrage très critique sur l’école à la française (1), Peter Gumbel, journaliste, directeur du centre des Amériques à Sciences-Po Paris et ex-correspondant à Paris pour « Time Magazine », prône une notation permettant de constater les progrès de chaque élève plutôt que de le comparer à ses camarades.
Pour plus d'infos cliquez:


http://www.la-croix.com/-Les-eleves-francais-manquent-de-confiance-en-eux-/article/2453464/55350
La Croix. Quels sont, selon vous, les principaux défauts du système appliqué en France ? Peter Gumbel : Tout d’abord, il a pour but premier de sélectionner. Jusqu’en 1890, il n’existait pas en France de notes chiffrées, pas même au baccalauréat. Mais le système a évolué à la demande des grandes écoles qui voulaient se voir adresser les meilleurs élèves. Et cela est resté la philosophie dominante. Les notes forment généralement une courbe gaussienne parfaite (NDLR : courbe en cloche, avec beaucoup de résultats moyens) et contribuent à introduire de la concurrence entre élèves.

Ensuite, le système est illisible. Tout dépend de la matière (un 12/20 en philosophie vaut plus qu’un 12/20 en langue) et du professeur. De même, qu’est-ce qui distingue réellement un 12 d’un 13, voire d’un 12,5 ? Enfin, en France, on est incapable de féliciter. Pourquoi prévoir un barème allant de 0 jusqu’à 20 si, dans la plupart des matières, on n’attribue jamais plus de 18/20, tandis qu’on ne se prive pas de donner des 0, ou même des notes négatives ?

Comment ce mode de notation influe-t-il sur les résultats ? Le système est peu motivant. Pour bon nombre d’élèves, il s’agit d’obtenir la moyenne afin de «survivre». Et ceux qui sont un peu meilleurs ne voient pas l’intérêt d’un effort supplémentaire pour passer de 14 à 16. Ils le verraient sans doute davantage s’ils avaient, comme dans d’autres pays, la possibilité de passer de B à A et d’atteindre ainsi la meilleure note.

Cela explique sans doute en partie les résultats décevants de la France aux évaluations Pisa, réalisées dans l’OCDE. Lors de l’édition 2009, seuls 4,4 % des élèves français comptaient parmi les meilleurs, à la fois en sciences, en maths et en compréhension de l’écrit, un pourcentage bien inférieur à ceux atteints dans d’autres pays.

Cette même étude Pisa montre aussi que les élèves français, bien plus que les autres, manquent de confiance en eux et sont paralysés par la peur de l’échec. Enfin, le système français, avec son obsession du hors sujet, une maladie nationale, tue la créativité et incite les élèves à répéter bêtement ce que le professeur leur a appris.

Quel serait le système de notation idéal ? Une notation centrée sur l’élève et permettant de constater ses progrès plutôt que de le comparer à ses camarades. L’échelle doit être à la fois resserrée, claire et appliquée par tous. Beaucoup de pays utilisent des barèmes avec cinq niveaux (de A à E ou de 1 à 5) correspondant, peu ou prou, aux appréciations suivantes : excellent, bon, satisfaisant, passable et insuffisant. À peine un cinquième de l’échelle correspond à une mauvaise note, et non la moitié, comme en France.

On peut aussi envisager l’autoévaluation. Cela aiderait chaque élève à repérer lui-même ses points forts et ses lacunes, avant un rendez-vous qui lui permette d’échanger avec son professeur et ses parents. Quand elle vient de l’enfant, la prise de conscience permet une meilleure responsabilisation.

Comment expliquer qu’en France, le système de notation paraisse figé ? Partout dans le monde, l’école est plutôt conservatrice. Mais ici, le débat est à 100 % politique et idéologique. Les professionnels ne sont pas écoutés. S’ajoute à cela l’attitude des parents, qui souvent tiennent aux notes parce qu’elles leur permettent de situer leur enfant par rapport au reste de la classe, et de manière plus générale, une culture scolaire qui mine la confiance des élèves et associe l’apprentissage à la souffrance.

On n’a toujours pas compris en France que l’épanouissement était un facteur de réussite. C’est d’autant plus paradoxal que ce pays a longtemps fourni les plus grands pédagogues. C’est même lui qui, avec Henri Piéron, a inventé dans les années 1920 la docimologie, la science des notes.

Recueilli par DENIS PEIRON


(1) Auteur de l’ouvrage On achève bien les écoliers, Grasset, 2010.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire