vendredi 20 juillet 2012

La mobilité internationale des seniors

La mobilité internationale des seniors
Un deal win-win pour l’entreprise et le senior, s’il est bien pensé en amont

Alors que les seniors sont de plus en plus nombreux dans les entreprises, les DRH peinent souvent à leur trouver des débouchés à la hauteur de leurs aspirations et de leurs compétences. L’expatriation peut être une solution gagnante pour les deux parties, notamment s’il s’agit de partir diriger une filiale ou d’ouvrir un nouveau marché. L’expérience, le goût de transmettre et la mobilité d’un senior en fait le candidat tout indiqué. Mais le risque d’échec n’est jamais éloigné. Il s’agit de bien préparer cette aventure, surtout s’il s’agit pour lui d’une première expérience à l’international.

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Le taux d’emploi des 55-64 ans a progressé de 3,2 % entre 2007 et 2011 selon la Dares.
Une bonne nouvelle qui cache pourtant une réalité plus complexe. Car si sur la tranche 55-59 ans, le taux d’emploi atteignait 60,6 % en 2010, contre une moyenne de 60,9 % en Europe, il n’atteignait que 17,9 % sur la tranche 60-64 ans, contre 30,5 % dans le reste de la communauté. Les pouvoirs publics cherchent pourtant depuis quelques années à inciter les seniors à rester dans l’emploi et les entreprises à les y aider. Ainsi la dispense de recherche d’emploi dont bénéficiaient les chômeurs de plus de 57 ans et demi a récemment été abrogée. Et, depuis janvier 2010, la loi impose aux entreprises de garder leurs salariés jusqu’à 67 ans s’ils le souhaitent. Un véritable casse-tête pour les DRH ! Il existe pourtant une solution négligée permettant aux seniors les plus expérimentés et les plus talentueux de rester en activité, pour le plus grand bénéfice de leur entreprise : l’expatriation. Cette solution peine cependant à faire son chemin tant les idées reçues et les habitudes ont la vie dure.

“Depuis 40 ans en France, on dit aux seniors qu’il est temps de prendre leur retraite et de laisser la place aux jeunes, et très peu osent dire qu’ils sont intéressés par une première expatriation, regrette Marc Raynaud, le fondateur d’InterGénérationel. De plus, les gestionnaires de carrière et les DRH tombent souvent dans les mêmes stéréotypes.” Certains dirigeants éclairés voient pourtant dans les qualités spécifiques des seniors une opportunité pour développer leurs filiales dans le monde ou lancer une activité dans un nouveau pays. “Les entreprises ont souvent tendance à expatrier des gens confirmés, c’est-à-dire dont la valeur ajoutée à l’international est significative” confirme Marc Raynaud.

Et les seniors eux-mêmes semblent friands de ces défis proposés par leur entreprise. “À partir d’un certain âge, on aime bien faire des missions de 2 ou 3 ans, par exemple via le management de transition, alors pourquoi ne pas le faire à l’étranger ?” analyse François Humbert, fondateur de Cadres Seniors Consulting. D’autant que ces cadres seniors expatriés y trouvent souvent leur compte financièrement. “Il y a un avantage fiscal non négligeable à s’expatrier, puisqu’on ne paie plus ses impôts en France, poursuit François Humbert. Ce à quoi il faut ajouter le salaire revalorisé, la maison payée, etc.” Bref, l’expatriation est une bonne affaire. Attention cependant, car en tant qu’expatrié, on ne cotise plus à la caisse de retraite en France. Il faut donc bien vérifier que les sommes gagnées viendront couvrir ce manque à gagner.

La prime à l’expérience

Dans quelle mesure l’expatriation est-elle aussi profitable au senior qu’à l’entreprise ? L’avantage le plus évident d’un cadre senior sur un cadre junior est sa plus grande expérience. Il n’a pas besoin de formation technique ou managériale, et sera tout de suite opérationnel. “Nous avons beaucoup de demandes d’entreprises étrangères pour des seniors, confirme François Humbert. Elles sont très demandeuses de gens expérimentés et compétents dans des secteurs comme l’industrie pétrolière, l’aéronautique ou l’automobile.” Attention cependant, cette expérience acquise tout au long d’une carrière sera certes d’une grande utilité pour le senior expatrié, mais elle peut aussi se retourner contre lui. L’expatriation demande en effet une grande capacité d’adaptation, or les jeunes gens sont souvent considérés comme plus malléables et adaptables que leurs aînés qui ont accumulé les habitudes au fil des ans.


“Avec l’âge, un certain nombre de croyances et de certitudes se sont renforcées, pour ne pas dire calcifiées, prévient Marc Raynaud. Il faut préparer les seniors à abandonner de telles pratiques, car dans certains pays, ces croyances n’ont pas de sens ou sont tout simplement dangereuses.” Le rôle des équipes qui entourent les seniors candidats à l’expatriation sera donc d’identifier en amont ces modes de fonctionnement calcifiés et de les confronter à la réalité du pays d’accueil.
Un autre avantage des seniors sur leurs jeunes concurrents réside dans leur plus grande liberté de mouvement. Car un cadre entre 30 et 45 ans sera le plus souvent marié, avec des enfants à charge. “Il est très compliqué de gérer les carrières doubles ; les conjoints et les enfants d’expatriés coûtent très cher, analyse Marc Raynaud. Par exemple, un enfant en maternelle coûte 1 000 euros par mois à Shanghai.” Un senior entre 55 et 60 ans aura d’avantage de chance d’être libre de toute attache. Son conjoint pourra très bien être à la retraite, alors que ses enfants seront le plus souvent autonomes. Si l’ancienneté des seniors peut rendre leur salaire plus élevé que celui des juniors dans leur pays, leur coût complet à l’étranger n’est pas nécessairement supérieur, une fois pris en compte les frais de logement, de scolarité et de voyage par rapport à des familles plus jeunes.

Une solution plus fiable

Envoyer des juniors en expatriation peut bien sûr être un pari gagnant pour l’entreprise. Elle tablera sur le fait que le jeune à haut potentiel s’épanouira dans ses nouvelles responsabilités, gagnera en expérience, et sera prêt à assumer des fonctions de direction à son retour en France. Mais il s’agit là d’un pari, et non d’une assurance de succès. Certes les moins de 30 ans sont plus souvent formés à l’étranger que leurs aînés, et ont donc une certaine expérience de l’international. Mais ils sont aussi plus prompts à partir vers de nouveaux horizons. C’est justement là que le bât blesse.

Les jeunes de la génération Y peuvent apprécier des missions de courte durée ou même des emplois transfrontaliers mais, pour une expatriation de longue durée, l’investissement paraît plus risqué qu’auparavant pour l’entreprise, prévient Marc Raynaud. La fidélisation des jeunes recrues est aujourd’hui moins évidente et la génération Y serait moins prête à s’engager à long terme pour son entreprise.” En clair, si une entreprise envoie un de ses jeunes talents diriger une filiale en Chine, il y a de fortes chances pour que ce cadre à haut potentiel profite des opportunités qu’il ne manquera pas de trouver sur place. Un senior sera sans doute moins enclin à quitter son entreprise, une fois expatrié ou à son retour. Retour qui demeure un casse-tête pour l’entreprise et le salarié expatrié lui-même.

“Soit ils ont du mal à se réadapter, soit l’entreprise a du mal à leur confier des responsabilités qui leur donnent le sentiment de continuer à progresser, explique Olivier Gilson, membre du Syntec et directeur général de Jefferson & Partners. Souvent, ces cadres qui ont connu l’expatriation démissionnent peu après leur retour au pays pour retrouver ce sentiment de progrès.” Encore une fois, ce risque sera sans doute moins grand avec un cadre senior, car sa carrière est d’avantage derrière que devant lui.

L’expatriation, un état d’esprit avant tout

Les grandes entreprises éprouvent souvent des difficultés à proposer à leurs cadres à haut potentiel des postes à leur mesure, car par définition, plus ils montent en responsabilité et moins ils ont d’opportunité d’avancer. De son côté, le senior peut voir dans l’expatriation une voie pour rebondir, lorsque les postes auxquels il désire accéder ne sont pas disponibles en France. Attention cependant, l’expatriation des seniors n’est pas la panacée et cette pratique ne réussira que sous certaines conditions. L’expatriation d’un senior doit d’abord répondre à un véritable besoin de la part de l’entreprise et ne pas être une solution de rechange.

“Tout salarié expatrié coûte cher, aussi une entreprise doit penser en termes de ROI et bien réfléchir à ce qu’il pourra apporter sur place” explique Olivier Gilson. Qu’il soit junior ou senior, il faut ensuite que le salarié lui-même ait envie de partir. L’entreprise ne doit pas imposer à un senior de s’expatrier parce qu’elle n’a plus solution pour lui en France, sous peine de voir cette décision interprétée comme une punition, ou pire, de voir cette expérience tourner au fiasco. “À l’étranger, il faut savoir s’adapter à une culture, une langue, des pratiques différentes, bref à une vie différente, rappelle Wilhelm Laligant, directeur général de Randstad Search and Selection. Or tout le monde n’en a pas la capacité ou la volonté.”

Ce sera alors le rôle de la direction des ressources humaines d’identifier et de former les candidats à l’expatriation parmi son vivier de seniors. Il faudra ensuite identifier ceux qui en sont réellement capables. “Ce n’est pas parce qu’on est senior qu’on réussira mieux l’expatriation, car c’est un état d’esprit particulier, prévient Wilhelm Laligant. Tout le monde en rêve, mais tout le monde n’est pas fait pour vivre à l’étranger.” Ainsi envoyer à l’étranger un cadre qui n’a pas l’expérience de l’international peut-être contre-indiqué. Et ce même s’il en a rêvé toute sa vie. “J’imagine mal qu’on puisse expatrier un cadre confirmé qui n’a jamais connu l’international par le biais de l’expatriation ou de relations de travail, et qui aurait une carrière uniquement française, confirme Olivier Gilson. Car l’international demande une grande capacité d’adaptation qu’il est difficile d’acquérir en peu de temps à 55 ans.”

Miser sur la préparation en amont

Le principal prérequis à l’expatriation est la maîtrise de l’anglais, et si possible de la langue dans laquelle le senior va devoir évoluer. “Apprendre la langue du pays est un minimum explique Jacques Sacreste, de la direction développement international, département grands projets chez EDF. Car cela aide énormément à se faire accepter et est considéré comme une marque de respect par les gens sur place.” Mais plus généralement, c’est à une véritable préparation en amont qu’il faudra soumettre le senior. Comme pour tout salarié voué à l’expatriation, il devra être briefé sur les us et coutumes du pays, sur les méthodes de management…

“Avant mes expatriations en Chine puis en Pologne, je me suis renseigné sur l’histoire et la culture des pays où j’allais m’installer, témoigne Jacques Sacreste. Ce qui m’a permis une fois sur place de mieux comprendre les gens.” Ce passage obligé évite le plus souvent de faire des erreurs qui compromettraient la mission. “Nous avons tous tendance à projeter sur l’autre notre propre mode de fonctionnement, prévient Olivier Gilson. Un cadre non formé envoyé dans un pays qu’il ne connaît pas ferait des erreurs d’appréciation concernant les signaux qui lui sont envoyés, et risquerait d’émettre des signaux qui seraient mal interprétés par ses interlocuteurs.” Par exemple, un Chinois ne dit pas oui de la même façon qu’un Européen, ça n’en fait pas un mauvais manager pour autant. En revanche, si l’expatrié et son manager chinois ne se comprennent pas, tous les deux sont mauvais dans leurs rôles respectifs.

Un pont possible entre les générations

L’expatriation de longue durée n’est pas forcément la solution privilégiée par les entreprises pour valoriser leurs seniors à l’international. Ils peuvent aussi être envoyés sur des missions ponctuelles de coaching, notamment pour épauler un responsable plus jeune et moins expérimenté. C’est notamment la situation qu’a vécue Guillaume Bigot, multi-site leader-respiratory chez Honeywell. Envoyé en Chine par son entreprise pour monter un site industriel près de Shanghai alors qu’il avait 33 ans, il a bénéficié des conseils avisés d’un coach de 55 ans. Ici, les deux générations ont travaillé main dans la main à la réussite de ce lointain projet, et ce sans qu’aucun problème de hiérarchie ne se pose.

“Ce consultant senior n’intervenait que sur des missions de 15 jours tous les 2 ou 3 mois, ainsi ma légitimité de responsable de site n’était pas remise en cause, se souvient-il. Il a apporté son expérience industrielle, et m’a aidé à prendre la dimension de mon poste.” Ce rôle de coaching des jeunes responsables par des seniors est sans doute une solution très pertinente pour les entreprises. “Nous devrions d’avantage nous inspirer du modèle suédois, confirme Wilhelm Laligant. Là-bas, les seniors jouent le rôle de tuteurs auprès des juniors dans le cadre de binômes.” Ce modèle suédois, où plus de 60 % des gens travaillent jusqu’à 68 ans, devrait faire réfléchir. D’autant que, si les entreprises hexagonales ne portent pas toujours l’intérêt qu’ils méritent aux seniors, d’autres sont très conscientes de leurs qualités. Ainsi des entreprises étrangères, le plus souvent venant de pays émergents comme la Chine, l’Inde, l’Algérie, accueillent-elles à bras ouverts les seniors.
“Les Chinois créent de très belles usines, mais ont besoin de gens pour les diriger, explique Marc Raynaud. Et pour nos seniors, ce sont des jouets merveilleux !” Et cette situation est bien plus dangereuse qu’elle en a l’air pour l’économie. “Il s’opère actuellement un véritable transfert de technologies et de savoir-faire via les seniors, prévient François Humbert. Les pays en plein développement aspirent littéralement les cerveaux.” Mais si ces seniors s’expatrient et donnent le savoir faire de leur pays d’origine, c’est uniquement parce que ce pays n’a pas su les garder !

Économie sociale

Le volontariat de compétence
Bien plus que les entreprises, les ONG semblent avoir compris tous les bénéfices qu’elles pouvaient tirer d’une collaboration étroite avec les seniors. Ces derniers ont en effet les compétences requises, une volonté farouche d’être utiles et du temps à consacrer aux autres. Une fois à la retraite, nombre de seniors s’engagent ainsi dans des associations et consacrent une partie de leurs revenus à des œuvres humanitaires. Mais certains vont plus loin en n’hésitant pas à partir dans de lointains pays pour aider la population locale. C’est notamment le cas des 3 500 adhérents actifs de l’association Agir-abcd. En retraite ou en préretraite, ils sont actifs aussi bien en France qu’à l’international.

“Nous recrutons 30 % de nos adhérents dans le monde de l’enseignement et 25 % dans les grands groupes du CAC 40, explique Liliane Tozzi, la présidente de l’ONG. Mais nous comptons aussi des professionnels de santé, des juristes, des avocats ou des fonctionnaires dans nos rangs.” Et tous sont bénévoles. La mission d’Agir-abcd est de l’accompagnement économique et social, et l’association ne répond qu’à des besoins exprimés par les populations locales et bien identifiées. “Un des principaux axes de notre action est la formation professionnelle, témoigne Liliane Tozzi. Nous intervenons soit à la demande d’entreprises qui ont embauché des jeunes, soit à la demande de structures d’enseignement.”

Les missions durent 2 mois en moyenne, mais peuvent aller d’une semaine à un an. Comme pour les entreprises qui envoient des seniors en expatriation, l’association propose ses adhérents aux demandeurs en fonction de leurs compétences, de leur envie de partir, mais aussi de leur expérience à l’international. Car ils auront à intervenir en Afrique francophone, mais aussi en Asie et en Amérique latine. “Nous souhaitons que les gens qui partent en mission à l’étranger aient déjà une première expérience à l’international, confirme Liliane Tozzi. Nous les envoyons souvent au milieu de nulle part et il faut qu’ils soient suffisamment autonomes et qu’ils aient l’habitude de se frotter à des cultures différentes.” Le volontariat à l’international semble bien être une solution pour des seniors toujours actifs, qui ont la passion de transmettre leur savoir-faire et leurs compétences. Mais comme dans toute expatriation, l’expérience de l’international prime.
Par Fabien Humbert
Publié le 19/07/2012

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