samedi 4 décembre 2010

Ces salariés qui ont peur de la solitude



Pour sa 17e édition, l'Observatoire du travail BPI-BVA-L'Express met en lumière le fait que les relations humaines restent la pierre angulaire de la satisfaction des salariés.
Tel le Charlot des Temps modernes, le salarié d'aujourd'hui a besoin d'autonomie, mais aussi de relations en chair et en os avec ses collègues pour s'épanouir dans son travail et ne pas s'enfoncer dans la déprime. Qu'on se rassure, on est encore loin des affres subies par l'ouvrier travaillant sur une chaîne de production dépeint par Chaplin.
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Sur 1 000 salariés représentatifs de la population active occupée. 88% d'entre eux sont satisfaits des relations qu'ils entretiennent avec leurs collègues. Ils sont aussi 77% à juger satisfaisante l'ambiance de travail au sein de leur service et 76% à apprécier les relations avec leur supérieur hiérarchique direct.
La tension monte
Mais, à y regarder de plus près, tout n'est pas si rose. Si la situation reste stable pour la grande majorité des salariés interrogés, ils sont tout de même 18 % à avoir vu leur lien avec leur supérieur hiérarchique direct se détériorer (cette proportion étant particulièrement forte parmi les salariés du secteur public, les plus de 50 ans et les collaborateurs des entreprises de plus de 1000 salariés). Pis, 27% des personnes soulignent une dégradation de l'ambiance de travail au sein de leur service, "principalement sous l'effet de questions d'organisation ayant un impact sur la charge de travail, d'un manque de reconnaissance de leur travail, d'un sentiment d'isolement ou d'une mésentente avec le responsable", indique Christophe Bouruet, directeur de clientèle de BVA Opinion.
Plus grave encore, ils sont 46% à penser que la direction n'attache pas d'importance à la qualité de l'ambiance de travail. Et s'ils maintiennent en général des liens positifs avec leurs supérieurs directs, "ces liens sont pour la majorité très distants", relève le responsable: 46% des personnes interrogées jugent ces relations "respectueuses", 44% "simplement professionnelles", et ils ne sont que 18% à les considérer "enrichissantes".
Des réseaux de solidarité informels
A l'inverse de la "froideur" qui caractérise leurs relations avec leurs supérieurs, les salariés plébiscitent les relations avec leurs collègues - majoritairement jugées "amicales" (par 56 % d'entre eux) et "conviviales" (par 53 %). Signe que "la déshumanisation du travail n'est pas du tout acceptée", selon Pascale Portères, vice-présidente de BPI, pour qui "la première raison qui motive ce type de relations, c'est la volonté de ne pas être seul devant son clavier".
Mais pas seulement. Les collègues sont les premiers sollicités lorsque survient une difficulté (par 74% des personnes interrogées alors qu'elles ne sont "que" 61% à s'adresser en premier lieu au supérieur hiérarchique). Et, de plus en plus, d'autres réseaux de solidarité informels se développent dans les entreprises: 42% des salariés connaissent l'existence d'un groupement de salariés constitué pour avoir des échanges d'ordre professionnel; 37%, pour faire valoir les droits des salariés; et 36% pour soutenir un ou plusieurs salariés. Pour Pascale Portères, "ces réseaux se multiplient pour rompre la solitude et faire face à l'éloignement géographique, à la tension, au nombre d'heures de travail..."
"Mais la solidarité a des limites et on est bien loin de l'image d'Epinal qui prévalait autrefois dans le monde ouvrier", remarque Gaël Sliman, directeur général adjoint de BVA. En effet, "si 74% des salariés affirment pouvoir compter sur leurs collègues en cas de besoin dans leur travail au quotidien, la proportion baisse nettement lorsque les problèmes s'aggravent - en cas de conflit avec la hiérarchie ou de licenciement, par exemple. Dans ces deux cas, ils ne sont plus que 56% et 50% à compter sur un soutien de leurs pairs, ce qui témoigne d'un délitement de la solidarité, particulièrement dans les catégories socioprofessionnelles les plus basses."
Les vertus de la "flânerie"
La raison en est simple, selon le sociologue Norbert Alter, spécialiste du monde du travail, qui articule la théorie du don contre don (élaborée par Marcel Mauss) avec les questions de management: "Pour que la coopération entre collègues fonctionne, il faut que les gens aient le temps d'échanger, en prenant un café ensemble, en bavardant un peu ou en passant un peu plus de temps que prévu au restaurant..." Or, aujourd'hui, "les entreprises ont tendance à lutter contre ce qu'elles pensent être des temps morts et à faire en sorte que leurs collaborateurs fonctionnent en flux tendus", poursuit-il. Elles ont tort. "Le travail est devenu plus complexe et on ne peut plus être compétent seul. Si les salariés n'ont plus le temps d'échanger, ils deviennent mal à l'aise dans leur rapport au travail et donc, moins compétents", conclut le sociologue. La "flânerie", dénoncée par de nombreux patrons depuis Taylor, a du bon. Qu'on se le dise.

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